TEXTE
PENSÉE ET LANGAGE
Quels rapports la pensée et le langage entretiennent-ils? C'est à cette interrogation majeure que des psychologues contemporains se sont efforcés de répondre.
Mais ce qui intéresse surtout, c'est la manière dont pensée et langage se développent chez l'être humain, en particulier au cours de l'enfance.
À propos de ce sujet, un autre thème longuement traité concerne l'opposition entre concepts scientifiques et concepts «quotidiens» ou «spontanés». Le psychologue russe Vygotski souligne le paradoxe suivant: l'enfant formule mieux ce qu'est la loi d'Archimède qu'il ne définit ce qu'est un frère. Alors qu'il a une riche expérience empirique de ce qu'est un frère, il s'embrouille si on lui demande ce que signifie le mot «frère».
De fait, nous explique Vygotski, les concepts quotidiens ne se développent pas du tout comme les concepts scientifiques. Les premiers sont connus dans l'expérience concrète, les seconds à la suite d'une explication du maître, «dans une situation de collaboration entre le pédagogue et l'enfant». L'enfant sait manier les concepts spontanés mais n'en a pas conscience, il a en fait conscience de l'objet beaucoup plus que du concept lui-même. Inversement, l'enfant prend dès le début beaucoup mieux conscience des concepts scientifiques que des objets qu'ils représentent.
Pour bien faire comprendre cette distinction, Vygotski établit un parallèle avec la différence entre l'apprentissage de la langue maternelle et l'apprentissage d'une langue étrangère. La langue maternelle est comme les concepts quotidiens: bien avant l'école, l'enfant en maîtrise pratiquement toute la grammaire, mais sans avoir conscience de ce qu'il fait. En revanche, l'apprentissage d'une langue étrangère va se réaliser de manière radicalement différente: l'élève apprend consciemment des règles formelles de grammaire et les utilise volontairement.
Adapté du texte Pensée et Langage, Jacques Lecomte, 1998.