ENSEMBLE, C’EST TOUT
“Et puis, qu’est-ce que ça veut dire, différents? C’est de la foutaise, ton histoire de torchons et de serviettes... Ce qui empêche les gens de vivre ensemble, c’est leur connerie, pas leurs différences.”
Camille dessine. Dessinait plutôt, maintenant elle fait des ménages, la nuit. Philibert, aristo pur jus, héberge Franck, cuisinier de son état, dont l’existence tourne autour des filles, de la moto et de Paulette, sa grand-mère. Paulette vit seule, tombe beaucoup et cache ses bleus, paniquée à l’idée de mourir loin de son jardin.
Ces quatre-là n’auraient jamais dû se rencontrer(a). Trop perdus, trop seuls, trop cabossés... Et pourtant, le destin, ou bien la vie, le hasard, l’amour – appelez ça comme vous voulez –, va se charger de les bousculer un peu.
“Camille tomba dans les bras de Franck et le serra fort fort fort fort.(b) Jusqu’à ce que ça craque. Elle pleurait. Ouvrait les vannes, se mouchait dans sa chemise, pleurait encore, évacuait vingt-sept années de solitude, de chagrin, de méchants coups sur la tête, pleurait les câlins qu’elle n’avait jamais reçus, la folie de sa mère, la distraction de son papa, les années sans répit, le froid, les mauvais écarts, les trahisons qu’elle s’était imposées et ce vertige toujours, ce vertige au bord du gouffre et des goulots. Et les doutes, et son corps qui se dérobait toujours et le goût de l’éther et la peur de n’être jamais à la hauteur. Et Paulette aussi. La douceur de Paulette pulvérisée en cinq secondes et demie(c)...
Franck avait refermé son blouson sur elle et posé son menton sur sa tête.
- Allez... Allez... murmurait-il tout doucement sans savoir si c’était allez, pleure encore ou allez, ne pleure plus. Comme elle voulait.
Ses cheveux le chatouillaient, il était plein de morve et très heureux. Très heureux. Il souriait. Pour la première fois de sa vie, il était au bon endroit au bon moment. Il frottait son menton sur son crâne.
- Allez, ma puce... T’inquiète pas, on va y arriver... On fera pas mieux que les autres mais on fera pire non plus... On va y arriver, je te dis... On va y arriver... On a rien à perdre nous, puisqu’on a rien(d)... Allez... Viens”
Leur histoire, c’est la théorie des dominos, mais à l’envers. Au lieu de se faire tomber, ils s’aident à se relever.
Extrait adapté du roman Ensemble, c’est tout, d’Anna Gavalda, 2004.