Être heureux! Revendication collective ou individuelle?
Elle court, elle court, l’idée du bonheur. Des Grecs épicuriens ou stoïciens, aux économistes, psychologues et sociologues contemporains. Monopolisée un temps par l’Église, privatisée par la révolution, mentionnée dans la déclaration des droits de l’homme, soucieuse «du bonheur de tous». «La grande affaire et la seule qu’on doive avoir, c’est vivre heureux» se persuadait Voltaire, tranchant alors sur la religiosité, qui réservait jadis ce couvert pour l’au-delà.
L’affaire n’est pas neuve. La voilà recyclée par le capitalisme de grande consommation. Car, quête sociale ou individuelle, le bonheur fait un retour en force dans le discours des sociétés occidentales depuis qu’au seuil du XXIe. siècle se sont éffondrées les utopies politiques et les idéologies. Celles-ci rêvaient de faire le bonheur de l’humanité. En s’actualisant autour de l’individu, la société pousse à commencer par soi.
C’est dans l’air du temps vouloir mesurer le bonheur ou le bien-être des gens. C’en serait même devenu un impératif social: comme de l’attention portée à la qualité de l’air et à celle de l’eau, à la capacité d’autonomie des individus, à leur capital éducatif, culturel, à leur aptitude à la paix.
L’affaiblissement des liens sociaux, du degré de confiance dans autrui, du niveau d’entraide et du sentiment de sécurité ont des effets négatifs pour la santé. Évidemment, comme l’indique le bon sens populaire, si la richesse ne crée pas le bonheur, elle y contribue fortement. Mais jusqu’à un certain niveau seulement. Car si l’augmentation des revenus a des effets spectaculaires et durables sur le bien-être dans les populations pauvres, cette amélioration a un effet limité chez les plus riches.
Jean Michel Dumay
Extrait adapté de Le Monde Dossiers & Documents, nº 398, juin 2010