AMADO LE BÂTISSEUR
Pour les pays de vieille civilisation, la Chine, l’Inde et toute l’Europe Occidentale, la littérature est une façon de s’exprimer et un choix de langage, entre mille possibilités qu’on pèse, qu’on écarte, qu’on voudrait cultiver. Le vingtième siècle restera ainsi comme l’étape décisive de l’insertion du moi dans une tradition qui connaît mille inquiétudes, mille doutes, mille tatônnements où afflue, malgré vents et marées, l’individu partagé entre le silence et sa projection verbale. Le problème, dans les pays en voie de développement psychologique ou économique, comme le Brésil, est différent. C’est la société qui intéresse Jorge Amado. Quels que soient leurs rapports avec le langage, ce n’est pas celui qui compte vraiment: il s’agit pour lui d’être fidèle à une expérience collective, voire nationale. Jorge Amado s’intéresse aux coins de terre avec les souffrances, les folies, les espoirs, les crises de croissance. Bref, il se fait l’écho d’une histoire. Amado est le plus célèbre des romanciers et conteurs brésiliens. De la dizaine d’oeuvres traduites chez nous, ce sont peut-être Gabriela, girofle et canelle, puis Cacao qui nous ont le plus touchés, dans le genre réaliste. Cet auteur sait bien éviter le simplisme et voit l’élan humain avec les yeux du XXe. siècle. Il a été le porte-parole des masses. Dans ses livres, les duperies, le viol, les querelles sordides, et même les injustices flagrantes comptent peu: pour bâtir une ville, il faut aussi casser les âmes. L’enthousiasme se façonne dans le sang et le marécage humain. Il manque à Jorge Amado une certaine qualité de silence. Il vit comme les auteurs de westerns et d’aventures, de faits, de gestes et aussi de gesticulations.
Extrait et adapté de: Magazine littéraire – Lettres étrangères:
La chronique d’Alain Bosquet, novembre 1995, p. 76.