O texto abaixo faz parte do romance Mémoires de porc-épic (“Memórias de porco-espinho”), do congolês Alain Mabanckou. Utilizando um sistema de pontuação singular, a narrativa se constrói com base em uma lenda popular africana segundo a qual cada humano possui seu duplo animal. Assim, o narrador da história é um porco-espinho que, na qualidade de duplo de Kibandi, seu mestre, executa todas as suas ordens. le problème avec Youla c’est qu’il devait de l’argent à mon maître, c’est sans doute l’un des épisodes qui me fend le plus le coeur jusqu’à présent, mais il faut que je te raconte cela avec moins de précipitation, j’étais mal à l’aise après avoir accompli cette mission, je revoyais sans cesse le visage de la victime, son innocence, je trouvais que Kibandi était allé un peu trop loin cette fois-ci, avais-je le droit de lui exprimer mes sentiments, hein, un double n’a pas à juger ni à discuter, encore moins à se laisser aller au remords au point de paralyser le déroulement des choses, et pour moi cet acte était l’un des plus gratuits que nous ayons commis, Youla était un père de famille tranquille, un petit paysan sans éducation et dont l’activité ne marchait pas bien, il avait une femme qui l’aimait et venait d’avoir un enfant avec elle, un nourrisson qui ouvrait à peine les yeux, et puis, un jour, et je ne sais pas pourquoi, il y a eu cette histoire de dette entre lui et Kibandi, Youla était venu le voir pour emprunter de l’argent, une somme pourtant ridicule qu’il devait rembourser la semaine suivante, il voulait semble-t-il acheter des médicaments pour son enfant et jura qu’il rembourserait la dette en temps et en heure, il se rabaissa, se mit à genoux, versa des larmes car personne n’avait voulu lui prêter la somme dérisoire, Kibandi lui rendit ce service, lui dont les économies s’amenuisaient d’année en année depuis qu’il avait renoncé à la charpenterie, et une semaine passa, Kibandi ne vit personne devant sa case, une autre semaine passa, Youla ne se pointa pas, il avait disparu de la circulation, mon maître pensait à juste titre qu’il se dérobait, alors il alla à son domicile deux mois plus tard, il lui dit de lui rendre son argent sinon les choses allaient mal tourner entre eux, et comme l’homme était ivre ce jour-là il se mit à ricaner, à insulter Kibandi, à lui dire de dégager de sa vue, d’aller traîner sa charpente osseuse un peu plus loin, ce qui ne manqua pas d’agacer mon maître qui lui fit la réflexion, “tu trouves de l’argent pour te saouler la gueule et tu es incapable de rembourser tes dettes”, et comme Youla ricanait de plus belle, Kibandi ajouta sèchement et à haute voix “quand on n’a pas d’argent, on ne fait pas d’enfants”, Youla se paya le luxe de marmonner “est-ce que je te dois même de l’argent, hein, tu te trompes de personne, sors de ma parcelle”, son épouse prit parti, somma à son tour mon maître de déguerpir sinon elle allait appeler un sage du conseil du village, et lorsque mon maître rentra chez lui, dépité, je le vis soliloquer, proférer des jurons, je savais que les choses allaient mal tourner pour Youla, je n’avais jamais vu Kibandi dans un tel état, Youla allait savoir de quel bois mon maître se chauffait et à minuit, nous sommes arrivés devant la concession du paysan, j’ai fait le tour de la case, j’ai débouché dans la chambre à coucher, j’ai vu Youla ronfler sur une natte tandis que sa femme était dans le lit, à l’autre bout de la pièce, cela se passait sans doute ainsi chaque fois que l’époux était ivre, et j’ai traversé la chambre, je me suis orienté vers la pièce de l’enfant, aussitôt que je me fus rapproché du nourrisson j’ai eu un pincement au coeur, j’ai voulu rebrousser chemin, je me suis demandé pourquoi mon maître avait décidé de s’attaquer au bambin au lieu de s’attaquer à l’homme qui lui devait de l’argen
ALAIN MABANCKOU Adaptado de Mémoires de porc-épic. Paris: Seuil, 2006.