L’écriture autofictionnelle
Le terme d’autofiction est un néologisme apparu en 1977, sous la plume de l’écrivain Serge Doubrovsky, qui l’a employé sur la couverture de son livre Fils. Ce néologisme a connu depuis un succès grandissantA) aussi bien chez les écrivains que dans la critique. Il est intéressant de remarquer que la paternité du terme revient à quelqu’un qui a été à la fois un critique universitaire français enseignant à New York et un écrivain menant une carrière littéraire (après Fils, il a publié une suite de livres d’inspiration autobiographique).
Cette double obédience, universitaire et littéraire, me paraît significative de l’esprit dans lequel cette notion d’autofiction a été forgée. On pourrait dire qu’il s’agit d’une mise en question savante de la pratique naïve de l’autobiographie.B) La possibilité d’une sincérité ou d’une vérité de l’autobiographie s’est trouvée radicalement mise en doute à la lumière de l’analyse du récit et d’un ensemble de réflexions critiques touchant à l’autobiographie et au langage. A la suite de Doubrovsky, d’autres écrivains-professeurs, comme Alain Robbe- Grillet, ont écrit des autofictions dans lesquelles ils soumettaient leur propre biographie au crible de leur savoir critique. Encore récemment, en 1996, des réflexions théoriques sur l’autofiction ont été élaborées par Marie Darrieussecq qui est à la fois une universitaire et une romancière à succès, auteure notamment du roman Truismes.
Il faut cependant reconnaître que la notion d’autofiction est sortie des cercles intellectuelsC) et qu’elle s’est vulgarisée. Comme le mot est depuis une dizaine d’années très répandu, on se demande ce qu’il signifie exactement. On peut d’abord remarquer que c’est ce qu’on appelle un mot-valise, suggérant une synthèse de l’autobiographie et de la fiction. Mais la nature exacte de cette synthèse est sujette à des interprétations très diverses.
Dans tous les cas, l’autofiction apparaît comme un détournement fictif de l’autobiographie. Mais selon un premier type de définition, stylistique, la métamorphose de l’autobiographie en autofiction tient à certains effets découlant du type de langage employé. Selon un second type de définition, référentielle, l’autobiographie se transforme en autofiction en fonction de son contenu, et du rapport de ce contenu à la réalité.
Nombreux sont les critiques à avoir relevé le caractère impur du genre autofictionnel. Jacques Lecarme le qualifie ainsi plaisamment de mauvais genre. Gérard Genette ne lui concède une existence que du bout des lèvres.D) Et plus récemment, Marie Darrieussecq le présente comme un genre pas sérieux. Mais elle veut donner un sens précis à cette expression. Par pas sérieux, Marie Darrieussecq entend désigner le caractère contradictoire de l’autofiction: si l’auteur d’autofiction affirme que ce qu’il raconte est vrai, il met en garde le lecteur contre une adhésion à cette croyance. Dès lors, tous les éléments du récit pivotent entre valeur factuelle et valeur fictive, sans que le lecteur puisse trancher entre les deux.
Ce non sérieux veut cependant sérieusement mettre en doute la vérité naïve de l’autobiographie. Il plaide pour le caractère indécidable de la vérité d’une vie, qui se laisse peut-être mieux saisir dans les détours de la transposition fictionnelle que dans la maîtrise d’un récit ordonné et prétendument fidèle.
Laurent Jenny Adaptado de unige.ch.