POUR REGAGNER LE TEMPS PERDU
Pour ceux qui y parviennent, l’été est l’occasion de délaisser ses doudous du quotidien, montres et téléphones portables. Le temps s’étire, l’horloge ne dicte plus l’agenda. Ouf ! On profite de l’accalmie pour se reposer et dresser un éventail de solutions afin de ralentir le rythme. Car le sentiment de ne pas maîtriser le tempo de sa vie est plus que jamais partagé dans notre société. Pas le temps, tout va trop vite…
Huit personnes sur dix souhaitent ralentir leur rythme de vie, la moitié considérant qu’elles manquent de temps, selon l’Observatoire société et consommation qui a réalisé une enquête en 2016 sur près de 12000 sondés, dans six pays industrialisés. “Tout le monde se plaint de cet emballement et tout le monde consent à en être victime!”, fait remarquer Gilles Vernet, ancien opérateur de marchés financiers, devenu professeur des écoles et auteur du documentaire “Tout s’accélère”.
D’autres statistiques illustrent la cadence infernale de notre société, comme celles sur l’évolution depuis cinquante ans de la production, de la consommation, des émissions de carbone, de l’acidification des océans ou de la population. “Il ne peut pas y avoir de développement infini”, rappelle Gilles Vernet, qui pointe la responsabilité de la financiarisation à outrance, de la soumission au rythme des marchés et à leur trading haute fréquence.
Cette course folle en laisse beaucoup sur le bas-côté: “Nous sommes privilégiés, car la majorité de la population mondiale n’est pas concernée par la dictature de l’urgence et tente juste de survivre. C’est une des conséquences de l’accélération: elle creuse encore un peu plus les inégalités entre les riches et les pauvres”, déplore Jérôme Lèbre, directeur de programme au Collège international de philosophie de Paris. Il rappelle que, logiquement, grâce aux robots et aux algorithmes, l’homme devrait travailler moins: “À l’époque de Marx, la machine était dépendante des gestes de l’homme qui devait donc aller à sa vitesse… Aujourd’hui, c’est le contraire: en s’autonomisant, elle est censée lui faire gagner du temps”. Mais plus il a de temps et plus l’homme moderne l’occupe, en le mesurant toujours plus finement.
C’est la maladie de sa mère qui a poussé Gilles Vernet, disciple du sociologue allemand Hartmut Rosa, qui combat “l’accélération compulsive”, à se reconvertir, au début des années 2000: “Je voulais profiter de nos derniers moments. Ma vie d’opérateur était absurde, il fallait trouver une occupation en harmonie avec les circonstances. Alors que sur les marchés j’étais l’esclave du temps, j’en suis presque devenu le maître aujourd’hui”. Ainsi, avec ses élèves, il commence toujours la journée par cinq minutes de respirations profondes, “pour faire le vide, descendre et reprendre conscience”. À l’image du mouvement slow qui prône un ralentissement global de nos modes de vie, pour en profiter plutôt que de courir après.
PHILIPPE SALVADOR Adaptado de lejournaltoulousain.fr.